Weblog de Christian Brülhart

février 10, 2009

Comment prendre soin des patients psychotiques graves

Filed under: Santé mentale,Tous — Christian Brülhart @ 1:46
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Des malades dits « insortables » sont réinsérés grâce à des nouvelles thérapies

A l’hôpital l’Eau Vive, qui appartient à l’Association de Santé Mentale dans le XIIIème arrondissement (ASM13), l’environnement et l’accompagnement des malades psychiatriques hospitalisés pour de longues périodes a été repensé et adapté.

Dans le cadre des conférences organisées par le Département de psychiatrie des Hôpitaux universitaires genevois (HUG), le Dr Vassilis Kapsambelis, psychiatre et psychanalyste de l’ASM13 est venu expliquer à ses confrères les conséquences de ses recherches sur le travail médical avec les patients psychotiques les plus gravement atteints. Parmi les sujets abordés: l’attitude des psychiatres et du personnel soignant, les modalités des soins, la médication et l’adaptation des infrastructures à ces malades dits «insortables».

Qui sont ces malades ?

Ce sont des personnes qui sont gravement atteintes par des troubles psychiatriques et dont l’état de santé reste stationnaire ou se dégrade (dite «évolution catastrophique»). La schizophrénie se déclare à l’adolescence et frappe autant les hommes que les femmes. La dégradation du malade est violente dans un premier temps, puis sa santé se stabilise, et après environ une dizaine d’années de traitement psychiatrique et médicamenteux, la santé du patient s’améliore dans la plupart des cas. Seuls 3 à 5 % des patients atteints de schizophrénie passent leur vie à l’hôpital. Ces personnes souffrent de plusieurs maux dont: une persistance de profonds troubles psychiatriques, une incapacité de vivre de manière autonome (échecs répétés de placement dans des foyers, des familles d’accueil après deux voire quatre tentatives d’insertion sur vingt à vingt-cinq ans), une insensibilité ou une réponse médiocre aux effets des médicaments, une mise en danger de leur intégrité corporelle (hygiène, confort, déni de douleur/souffrance) et un refus de communication (troubles de la parole et de la pensée).

Quels sont leurs besoins particuliers ?

Bien que la guérison soit improbable, il faut donner une chance au malade. De nos jours, des thérapies et des médicaments plus performants évitent de longs séjours dans des asiles psychiatriques au profit de courtes périodes d’hospitalisation. Ce progrès entraîne une réduction du nombre de lits et leurs transferts dans des hôpitaux généraux. Cette tendance a deux conséquences: une perte de savoir-faire de la psychiatrie institutionnelle, les psychiatres qui travaillaient dans les asiles, et une réduction de l’espace de vie du patient.

Les thérapeutes doivent soigner des patients lourdement atteints où la psychiatrie ne peut pas encore tout comprendre et expliquer. La prise en charge du malade doit être constante et durable, généralement sur plusieurs décennies. Face à une situation parfois vécue comme de l’impuissance et de la frustration, certains médecins peuvent avoir des attitudes contre-productives. Explications:

Le désengagement, le désintéressement qui est une conséquence de la déception thérapeutique. La tolérance du psychiatre à l’égard du patient augmente, signe négatif équivalent à un désintérêt. Cette situation peut dégénérer en dépression soignante ou/et en tolérance coupable et agressive du médecin.

L’impossibilité de dégagement, autre attitude négative, qui se caractérise par une attitude de maîtrise, d’emprise. Certains psychiatres sont tentés par une inflation thérapeutique médicamenteuse (essais de tous les médicaments, augmentation des doses).

Pour lutter contre la réduction de l’espace de vie du patient, deuxième conséquence de la tendance, il est nécessaire d’offrir au malade un espace de vie, garant de stabilisation et d’équilibre.

Quels sont les aménagements adéquats ?

Pour vingt patients sur quatre mille adultes traitées par année à l’ASM13, il a été nécessaire de tenir compte d’un paradoxe: le malade vit pendant des années dans un hôpital alors que son séjour n’a rien d’une hospitalisation classique. Il y a échec d’un « ailleurs » comme de multiples tentatives de mise en foyer ou de placements dans des familles d’accueil. En conséquence, un foyer de vingt-deux lits a été créé dans l’hôpital. C’est un système éloigné de la structure médico-sanitaire habituelle avec un personnel soignant adapté (voir encadré). Deux unités ont été aménagées. La première accueille les patients «sortables», principalement des malades nécessitant un deuxième temps de séjour, après les soins de l’état aigu. La seconde réunit les sujets dits «insortables». Ces deux entités ne sont pas imperméables, sachant qu’il y a parfois «glissement» des résidents de la première vers la deuxième.

Comment s’occupe-t-on de ces malades ?

Quatre instruments sont utilisés pour accompagner les malades: la prodigation de soins corporels, l’organisation d’activités, les entretiens psychiatriques hebdomadaires et l’organisation d’un plan quotidien afin de rétablir la notion du temps. Ces moyens soutiennent les cinq dimensions du travail thérapeutique: une introduction à la notion du «prendre-soin-de-l’autre», un suivi constant et durable du psychiatre (de deux à quatre ans), une amélioration de la qualité de vie par des activités intellectuelles, une sensibilisation sociale (la dimension du groupe) et la représentation du temps (ce que les psychiatres appellent « la fin de l’éternité » pour ces patients aux séjours hospitaliers indéfiniment prolongés).

Quels sont les résultats obtenus ?

Suite à l’application de ce nouveau programme, on a pu observer une diminution des manifestations agressives, une réduction de l’utilisation de neuroleptiques et une amélioration du taux de sorties. Sur nonante patients traités en 2008, 20 % sont désormais en maison de retraite et parfaitement stabilisés, 20 autre % vivent en foyer non psychiatrique, 30 % sont en foyer psychiatrique ou en famille d’accueil, et même un petit 10% a pu revenir à son domicile. Les 20 % restants sont toujours entre le foyer et l’hospitalisation.

Effectif d’une unité de soin spécialisée

– seize heures hebdomadaires de consultation psychiatrique
– un demi poste de psycholoque
– une infirmière-cadre
– six infirmières
– six aides soignantes
– deux postes et demi de personnel de service

Christian Brülhart

(article publié dans le périodique suisse romand de la santé mentale “Diagonales“)

février 9, 2009

La guérison en psychiatrie

Filed under: Santé mentale,Tous — Christian Brülhart @ 2:15
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Au-delà du savoir médical, l’importance de la relation thérapeutique

Dans une volonté de partage et d’échange, le Dr Fabrizio Marra, du Centre psychiatrique du Nord Vaudois, est venu à la rencontre des membres du groupe d’entraide de La Roselière, à Yverdon-les-Bains, le 18 décembre dernier, pour parler de guérison. Echo de son intervention.

En psychiatrie, la guérison est souvent un terme tabou. Et pour cause, cette discipline se distingue des autres domaines de la médecine par l’absence d’une explication claire de la maladie. En effet, les psychiatres et les médicaments peuvent souvent soigner, mais plus rarement guérir. Sans compter les autres paramètres qui entrent en jeu dans le processus de soin, comme l’implication du patient lui-même et de son entourage.

Pourquoi la question de la guérison est-elle taboue parmi les psychiatres? La réponse se trouve dans le fait qu’elle est très liée à la dimension d’impuissance avec laquelle ils doivent composer, celle de ne pas toujours pouvoir guérir l’autre, malgré les avancées scientifiques.

Du côté des patients, pour ceux qui n’ont pas conscience de leur maladie, il existe une autre problème: pourquoi feraient-ils confiance au psychiatre s’ils ne s’estiment pas malades? C’est parfois très délicat.

Pistes et hypothèses

Même si la science ne cesse de faire des progrès, certaines maladies restent des énigmes pour le corps médical. «En psychiatrie, la cause de la maladie n’est pas toujours claire. Nous n’avons que des pistes ou des hypothèses, comme des traumatismes», explique le Dr Fabrizio Marra.

On sait toutefois que les maladies psychiques ont plusieurs origines. Il y a tout d’abord des raisons organiques telles que des prédispositions génétiques (dans le cas par exemple de la schizophrénie ou des troubles bipolaires). Il y a ensuite les problématiques infectieuses apparues lors de la grossesse ou celles du développement pendant l’enfance (par exemple durant la maturation du système nerveux). Enfin, il y a les aléas de l’existence qui peuvent constituer en eux-mêmes des éléments déclenchants.

Comment le psychiatre travaille-t-il?

Malgré le grand nombre d’investigations et de pistes explorées, plus particulièrement sur les traumatismes de la vie, comment, aux vu de ces difficultés, développer des thérapies appropriées?

Aujourd’hui, la «relation thérapeutique» occupe la première place dans le protocole des psychiatres. Tout d’abord, le médecin s’appuie sur l’aspect technique qui relève de ses connaissances – hypothèses, investigations neurobiologiques, compréhension psychologique; il s’intéresse au développement de nouveaux médicaments, à la réduction de leurs effets secondaires.

La psychiatrie doit compter sur un climat de confiance.

Ensuite intervient l’aspect relationnel du thérapeute, c’est-à-dire les compétences qu’il possède pour entrer en relation avec son patient et en assurer le suivi. Enfin, la capacité du patient à repérer son mal-être, à choisir un médecin et à établir une relation de confiance avec lui va être déterminante. Car un déficit de confiance du patient envers son thérapeute peut rendre la guérison difficile.

«Plus que dans les autres disciplines de la médecine, la psychiatrie doit compter sur l’aspect relationnel, sur un climat de confiance, car on ne peut pas compter sur un médicament», précise le Dr Marra.

Tous les espoirs sont permis

Mais, alors, une maladie comme la schizophrénie peut-t-elle tout de même parfois disparaitre ou se stabiliser? Les observations faites dans les cas de transmission héréditaire de la schizophrénie aboutissent aux résultats suivants: pour un tiers des patients ayant hérité de la maladie, l’état de santé s’améliore; pour un second tiers, il se régularise; pour le dernier tiers, il se dégrade.

Le binôme «thérapeute/médicament» est insuffisant.

Pour améliorer les chances de guérison, si minces soit-elles, le binôme «thérapeute/médicament» est insuffisant. La volonté du malade est prépondérante. L’influence de l’entourage peut se révéler cruciale sur la volonté de guérir. D’autres thérapies qui ne relèvent pas de la médecine peuvent également avoir un effet bénéfique: la foi et les croyances, l’hypnose, la méditation, l’expression artistique, l’interaction avec le monde animal, etc.

«Chacun est aussi son propre thérapeute. Il faut essayer de se mobiliser et de développer ses stratégies personnelles», conclut le médecin.

Christian Brülhart

(article publié dans le périodique suisse romand de la santé mentale « Diagonales« )

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